Ces dernières années, de nombreux nouveaux discours sont apparus autour des questions de la crise écologique, de celle du climat et de la biodiversité, de notre mode de « développement ». Discours sur l’éco-responsabilité, sur la Résilience, la transition, l’adaptation – radicale ou timorée – la décroissance, le durable, le soutenable, la croissance verte, l’effondrement (collapse) etc.

Ces concepts, avec des contradictions et des oppositions plus ou moins fortes et/ou flagrantes entre eux, sont largement interprétés à des sauces diverses et ne semblent guère nous aider à tracer de véritable perspectives motivantes, pas plus qu’ils ne nous permettent de clarifier les intentions des uns et des autres en termes de visions sociétaires.
Ne faudrait-il pas, et urgemment, réinterroger nos discours, pratiques et stratégies, pour en faire un corpus cohérent et surtout porteur d’un nouveau Récit ? Un Récit qui serait fait de ruptures avec notre modèle civilisationnel actuel, d’orientations politiques claires, basées sur le constat de l’urgence absolue (une urgence qui ne souffre plus les mini-mesures) ?
Derrière les mots, des schèmes idéologiques
Bien souvent, et pour simplifier, ces choix discursifs se font en suivant trois axes principaux.
D’abord, ils vont s’opérer en fonction des regards que portent leurs partisans sur la situation : Quel est le degré d’urgence ? Quel est le degré de gravité de la « crise » ? Ou des crises ? Quels sont les risques encourus et à quelles échéances ? Autrement dit, c’est une question de diagnostic, de niveau de connaissance des faits et de travail des différentes hypothèses prévisionnelles (exercice délicat s’il en est !).
Ensuite, ils vont s’étayer sur des options politiques plus profondes : les systèmes de valeurs, les représentations du « juste » et de « l’injuste », du souhaitable et de ce qu’il faut absolument éviter, des types de rapports sociaux et économiques à privilégier… Pour prendre un exemple extrême, les suprémacistes blancs ne vont pas avoir le même type de « réponse » à la question des réfugiés climatiques que les mouvements no border (anti-frontières) ! Il est donc totalement fallacieux de prétendre que les sujets du climat et de la biodiversité effaceraient, comme par magie, les clivages politiques.
Enfin, ils vont être validés, généralement en dernier ressort, par estimation de leur entendabilité supposée (entendabilité aux oreilles des « cibles » de la communication en question). Cela veut tout simplement dire que si un auteur, un groupe, pense que le mot ou le discours « ne peut pas passer », c’est le début du processus bien connu d’autocensure et de la prophétie auto-réalisatrice. Tout dépend donc de la hiérarchie des priorités entre « dire la vérité » (du moins, telle qu’on la perçoit) et « être suivi par le plus grand nombre possible de personnes » (tel qu’on l’imagine). Ainsi, et pour prendre encore un exemple, les militant.es de la deep écologie vont se moquer d’être populaires ou non, ils font d’abord le choix d’un discours qui, pour eux, est celui qui est le plus réaliste. Ce qui ne veut pas dire, bien évidemment, qu’ils/elles ne souhaiteraient pas convaincre massivement les populations. Mais ce n’est pas le critère prioritaire. Par contre, des organisations qui entendent rassembler les classes populaires, ne vont certainement pas faire le choix de parler de « décroissance », ce qui les couperait de leur base électorale souhaitant massivement une hausse du pouvoir d’achat. Elles feront, au mieux, le choix de vocables plus « passe-partout » du développement durable à la croissance verte selon les cas.
Cela étant dit, il est également important d’analyser les « charges » logiques et politiques véhiculées par chaque notion.
La croissance verte est clairement associée, sans guère d’ambiguïté, à la perpétuation du capitalisme, du néo-libéralisme et de l’économie de profit. Là-dessus, il n’y a pas de doute. La théorie fumeuse du découplage entre croissance et émissions des gaz à effet de serre est une pure invention pour venir rationaliser, par définition à postériori, un choix déjà ficelé : continuer (en pire) le monde d’avant !
Les débats peuvent être plus compliqués sur la transition, la collapsologie, la résilience, l’adaptation (« radicale »).
Certes, on peut dire, tout de go, que parler de résilience c’est déjà accepter les conséquences de la catastrophe annoncée, et déserter le terrain des luttes qui viseraient, justement, à éviter ladite catastrophe. De même pour l’adaptation. Mais les partisans de l’adaptation radicale ou des politiques de résilience territoriale peuvent aussi avancer que leur dialectique conduit dans le même mouvement, à reconnaître
1) qu’il est déjà trop tard pour éviter une série de séismes écologiques, politiques et sociaux majeurs, 2 ) qu’il est possible de s’en sortir (partiellement) en reconstruisant un nouveau modèle de société, avec un autre mode de vie, une autre démocratie qui, pour le coup, serait « réelle » et effective.
La question de la collapsologie pose encore d’autres difficultés, sans doute parce qu’elle mélange dès l’origine, un mouvement fort disparate dans les pensées et l’ambition de forger une discipline scientifique sans concepts fondateurs… Mais une fois que nous avons dit cela, il serait faux de prétendre que le(s) « mondes collapsos » se désintéresseraient fondamentalement des luttes du présent pour se centrer uniquement sur le « post-apocalyptique ». Ce serait bien mal connaître les débats qui s’y déroulent. Ces petites polémiques n’ont d’ailleurs guère d’intérêt et elles ont surtout un énorme inconvénient : celui de nous faire passer à côté de ce qui pourrait poser un véritable problème, à savoir l’estompage de la Question sociale.
La question sociale
Quand nous parlons de la Question sociale, il ne s’agit pas de politiques qui auraient des couleurs plus ou moins « sociales ».
Bien plus fondamentalement, la Question sociale, c’est celle de la propriété et du mode d’organisation, de régulation des rapports de pouvoir. C’est, de ce point de vue, une version disons de caractère libertaire du concept, avec extension de la vision marxiste limitée aux rapports économiques de production.

C’est donc, pour le reformuler, le double sujet de « qui possède quoi » – en termes d’outils et non de biens purement personnels – et de « comment les humains s’organisent pour gérer collectivement la Cité ». En bref, c’est le problème du Capitalisme ET de l’Etat (l’Etat en tant qu’entité de commandement érigée au-dessus de la société ET pour la subordonner à son Autorité et non pas comme ensemble d’institutions visant à permettre l’organisation des activités).
Pour beaucoup, ce point politique semblera sans rapport avec le Climat et la biodiversité. Et c’est bien là que se situe le problème, car en réalité, nos possibilités de faire face aux crises qui viennent, de « nous en sortir » – non pas seulement économiquement mais physiquement – et les réponses que nous pourrons collectivement élaborer à la Question sociale sont étroitement et indubitablement liées.
Pourquoi ? Parce que la sobriété est la seule solution pour tenter d’atteindre la neutralité carbone. Parce que cette sobriété veut dire la décroissance et qu’il ne peut y avoir, socialement, de décroissance sans un changement (très) radical du mode de répartition des richesses. C’est la question du degré d’acceptabilité par les populations, de chaque mesure qui devra être prise pour décarboner nos économies, accompagner la descente énergétique, regénérer des espaces de vie pour la faune et la flore sauvage. Si l’effort n’est pas justement partagé, il sera, et à juste titre, refusé. Et il générera autant de révoltes, voire d’insurrections (sans forcément beaucoup d’idées constructives à la clé…). Or, l’économie de marché, de par ses verrouillages logiques internes, sera totalement incapable de répondre aux objectifs de décroissance, et qu’il faut par conséquent, basculer d’une économie de marché à une économie planifiée. Seulement voilà, une économie planifiée par l’Etat serait forcément un grand pas vers l’autoritarisme politique. Il vaudrait mieux, c’est du moins notre avis, promouvoir une gouvernance économique citoyennisée, si l’on peut nous autoriser ce néologisme. L’idée, il est vrai, n’est pas tout à fait nouvelle ! Ce serait, en quelque sorte, revenir aux sources de l’idée de la « gestion ouvrière » prônée à ses origines par le Mouvement Ouvrier, ou à celle plus récente de l’autogestion. L’essentiel étant que le pilotage économique, du moins de tous les secteurs essentiels et stratégiques, soit réellement exercé par les citoyens et leurs représentants dûment mandatés et pour l’intérêt commun. Rien à voir donc avec le totalitarisme russe ou chinois !
Concernant les entreprises, il nous faudrait sans doute – et assez rapidement ! – créer d’autres formes juridiques de propriété (citoyennes et donc communes). Il existe d’ailleurs aujourd’hui un fort mouvement de développement des sociétés coopératives, particulièrement dans le champ de la transition écologique.
Il s’agit par contre d’être prudents. En effet, nous pouvons noter qu’un certain nombre de théories « organisationnelles » relativement fumeuses (ou pire, perverses) fleurissent depuis une dizaine d’années, surtout dans les milieux associatifs et dans de grandes entreprises.
Nous voulons parler notamment de l’anthroposophie, et plus particulièrement de l’holacratie, version radicalisée de la sociocratie. Arrêtons-nous quelques instants sur ces notions, même s’il s’agit de marques déposées, dont les propriétaires n’hésitent pas à faire des procès en diffamation y compris suite à la simple parution de posts sur facebook les qualifiant de « néo-sectes » ! Disons qu’il semble encore permis de déplorer que ces nouvelles mouvances (très, très respectables, vous l’aurez compris et sans dérives sectaires bien entendu !) se permettent de faire comme si le mouvement ouvrier et syndical n’avaient jamais existé, et qu’ils n’avaient jamais rien revendiquer (en termes, justement, de gestion ouvrière et d’autogestion)…
Déplorons surtout qu’elles prétendent apporter le saint Graal à l’épineuse question du fonctionnement collectif alors qu’elles conduisent, en réalité, à renforcer les dispositifs d’aliénation. Pour celles et ceux qui souhaitent s’y intéresser de plus près, nous leur conseillons d’analyser soigneusement les mécanismes de prises de décisions proposées comme, par exemple, le vote par consentement, et d’analyser en quoi ces mécanismes sont grandement pervers. Ainsi, le processus dit par consentement est piégeux en ce qu’il oblige les opposants à démontrer que telle ou telle décision serait défavorable à l’intérêt commun, ce qui revient à inverser « la charge de la preuve ». Dans les entreprises « holacrates », ce n’est plus à la Direction d’argumenter sur le bien-fondé de ses choix, ce sont les salariés qui doivent argumenter en profondeur leur éventuelle opposition. Mais cela suppose d’avoir le temps, les connaissances, l’aisance verbale suffisante. En d’autres termes, celui qui reste le dirigeant (l’holacratie n’abolit absolument pas la hiérarchie de commandement), s’exonère d’arguments supplémentaires et c’est le contestataire qui se retrouve en position « d’assiégé » et de cible de toutes les critiques, y compris par les affidés du propriétaire des lieux. Ce n’est pas un hasard si, historiquement, l’holacratie est une méthode managériale (d’une start-up américaine de surcroît). Mais revenons-en, pour tenter de conclure, à notre Question sociale et à ce qui doit mobiliser toute notre attention : l’effondrement actuel de la biodiversité et la catastrophe climatique en cours.
Réinterroger nos stratégies ?
L’enchaînement des marches pour le climat, sans avancées probantes, a généré de la lassitude chez beaucoup. C’est compréhensible. Il ne s’agit pas de réinventer l’eau chaude mais de questionner nos stratégies, pour agir plus vite, et plus fort !

En premier lieu, nous voudrions parler de cette question récurrente sur les discours à tenir, leurs propriétés démotivantes ou pas, leur efficacité communicante… Il faut en finir avec cela. Nous ne pouvons pas mentir sur la gravité de la situation, c’est une question d’éthique. Ne pas livrer TOUTES les conclusions des travaux scientifiques est criminel. Et tant pis si nous provoquons, par nos interventions, de la peur, du stress, de la panique. Les phénomènes de déni, en première défense, ne tarderont pas à tous tomber devant la réalité des faits. Mieux vaut prendre le risque de déclencher des réactions d’hostilité plutôt que… ne rien déclencher ! D’ailleurs, nous rajouterons sur ce point qu’il serait regrettable de laisser la technique de la fenêtre d’Overton à l’extrême droite…
Mais encore faudrait-il pour cela que les divers mouvements et collectifs militants fassent l’effort de se réunir, d’organiser des rencontres de travail, pour parvenir à affiner les diagnostics, ce qui n’est pas vraiment le cas, malheureusement.
Certes, le réseau Action Climat, entre autres, fédère 27 associations nationales et 10 associations locales, autour de la lutte contre le changement climatique. Mais il est très loin d’avoir réussi une convergence disons « opérationnelle » (attention, nous ne critiquons aucunement l’engagement des personnes, c’est seulement un constat factuel). Il est aussi très loin d’avoir réussi à élaborer une politique cohérente. Nous sommes désolés de nous montrés quelque peu critique, mais le fait, par exemple, de publier une étude qui reste en faveur de l’idée (imbécile) de l’avions à hydrogène en 2035, est très dommageable (syndrome de la quête d’entendabilité ?). Plus profondément, nous sommes encore très loin d’une orientation anticapitaliste claire. D’ailleurs, vous pouvez taper les mots « capitalisme » ou « anticapitalisme », ils n’apparaissent pas une seule fois sur la plateforme en question. S’agirait-il de « gros mots » ? Pensez-vous réellement possible de réussir à bifurquer en restant dans le cadre des règles capitalistes ? Comment peut-on prétendre changer de monde (bon gré ou mal gré !) en oubliant plus de deux siècles de combats contre un système qui ne connaît que le profit à court terme, l’exploitation de milliards d’individus et la répression sanglante ? Nous avons notre profonde incompréhension de cette « lacune ».
En éléments principaux de résumé, nous soutenons que l’enjeu immédiat est l’émergence d’une « nouvelle » logique de mouvement qui :
- ne se mentirait pas et ne mentirait pas publiquement,
- affirmerait sans périphrase la volonté assumée d’une rupture anticapitaliste,
- ainsi que d’avec un système politique corrompu et incapable de « représenter » les citoyens.
- Accepterait de fédérer dans une logique « fractale » comme dirait notre ami Aurélien Barrau. Il n’est et ne sera nullement problématique que certains segments activistes agissent au plus près du terrain, en créant des îlots de rébellion et de « vivre autrement » et que d’autres segments soient axés sur l’action politique dans les institutions !
- Se donnerait (enfin) les moyens pour que soient créer des ponts effectifs avec les organisations disons « traditionnelles » du mouvement social, à savoir les organisations syndicales. Là encore, si quelques contacts existent, nous sommes en régime « escargot »…
- Qui apporterait non seulement une dimension de coordination dans les actions mais qui serait aussi en lien avec l’appui aux initiatives concrètes de résilience (création de lieux plus ou moins autonomes, de bio régions alternatives – voir ce qui est fait aujourd’hui par les acteurs des Etats généraux du Post Urbain). Que l’on ne nous rétorque pas que « cela se fait déjà« , car, il suffit de constater que l’outil cartographique mis en ligne sur réseau action climat méconnait celle du transiscope pour comprendre qu’il y a là un sérieux souci… Sérieux souci également dans les territoires où les « acteurs », qu’ils soient institutionnels ou associatifs, agissent chacun dans leur coin dans un triste esprit de pré carré. Etant impliqués dans le développement d’un réseau inter-professionnel et associatif en local, nous sommes bien placés pour le constater chaque jour !
Soyons, là encore, réalistes : un mouvement ne se « décrète pas », il peut s’imaginer (un peu) à l’avance, mais sa mise en œuvre est par définition empirique, vivante, changeante, imparfaite, contradictoire voire paradoxale. C’est pour cette raison que nous parlons de nouvelle logique de mouvement et non pas de la création « ex nihilo » d’un énième « nouveau mouvement » (arrêtons de créer sans cesse de nouvelles organisations !). Il faut d’abord, dans cette logique, et répétons-le, mieux fédérer ce qui existe. Et elles sont nombreuses, multiples, fantastiques, toutes ces expériences qui éclosent sur le terrain, dans le monde du travail ou dans le champ plus politico-institutionnel.
Alors, on fait quoi, et comment, pour rouvrir un Imaginaire des possibles ?
Régis Dauxois, le 16 octobre 2022
Cher Régis J’apprécie beaucoup ton édito reçu ce jour. Il décrit bien les empêchements factuels et culturels et autres calculs stratégiques qui nous permettraient d’arrêter de rouler en sifflotant vers la falaise. J’aurais aimé m’entretenir avec toi afin d’évoquer nos travaux respectifs et voire justement s’il serait possible d’entrevoir des relations et/ou perspectives diverses et variées. Au-delà du travail avec Envie d’R bien-sûr. Je t’invite à consulter notre site : http://www.localos.fr et me dire si tu juges opportun que nous envisagions de caler un entretien. Nous avons du mal, pour le dire simplement, à construire une convergence des forces pour faire advenir une « nouvelle classe écologique ». En te remerciant à la fois pour cet édito et pour ton attention, Amicalement
Jean-Yves Pineau Directeur www http://www.localos.fr.local http://www.localos.fros.fr http://www.localos.fr 0689492251
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Avec plaisir ! Je crois que ce sera bien utile en effet :). On regarde une date pour se caler
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