Dossier

Méthanisation… Solution ?

Ou nouvelle illusion néfaste ?

La méthanisation est aujourd’hui une source d’énergie qui a le vent en poupe… Au 30 septembre 2023, on dénombrait en France 617 unités de méthanisation (25 de plus pour le seul troisième trimestre 2023) et plus de 103 nouvelles unités depuis le 1er janvier 2023. 524 d’entres elles sont agricoles, 8 issus de déchets ménagers, 16 ISDND (Installations de Stockage de Déchets Non Dangereux), 23 industriels et 46 STEP (boues de stations d’épuration des eaux usées).

Pour rappels la méthanisation est un mode de transformation de la matière organique en énergie et en fertilisant. Le méthaniseur fonctionne de la manière suivante : en l’absence d’oxygène et sous l’effet de la chaleur (38°), des bactéries transforment la matière organique en biogaz (constitué en particulier de méthane) et en un résidu (le digestat).

Valorisation énergétique de boues d’épuration

De très nombreuses matières premières peuvent être utilisées dont des effluents d’élevage, certains déchets d’industries agroalimentaires et de collectivités, mais surtout, des matières végétales telles que les pulpes et les fanes de betteraves ou de pommes de terre, les drêches d’orges de brasserie, les déchets verts issus par exemple de la tonte des pelouses, les ensilages de maïs pâteux, les résidus de séchage de maïs, les résidus de légumes …

Le biogaz est composé en moyenne de 55% de méthane (CH4), de 40% de dioxyde de carbone (CO2) et de 5% d’autres gaz. Le digestat est constitué quant à lui de matière organique non dégradée, de matières minérales et d’eau.

Ce procédé va engendrer plusieurs types de problèmes : des risques de pollution et d’accidents, des conséquences négatives pour les sols, des risques de fuite de méthane…

Un procédé pas vraiment « propre » …

Gérard Fonty et Daniel Chateigner, du CNRS, se montrent très critiques sur le sujet (Source). « Tout est bien plus complexe, qu’on veut bien le laisser entendre », insiste Gérard Fonty, (…). La fermentation s’exerce en présence de plusieurs milliers d’espèces de microbes (…). Premier constat : il faut dépenser de l’énergie pour porter les produits soumis à la méthanisation à un certain niveau de température ».

Ils rappellent ensuite que le biogaz doit être traité. Autant d’étapes « consommatrices d’énergie et génératrices de gaz à effet de serre ». De plus, « Il importe de compter sur une variété d’intrants (effluents agricoles, déchets de l’industrie agro-alimentaire, d’abattoirs, eaux de lavage, boues…), lesquels vont produire plusieurs types de gaz : méthane, gaz carbonique, mais aussi du sulfure d’hydrogène. Or, seul le méthane est la source d’énergie recherchée, d’où la nécessité d’épurer les gaz produits pour ne conserver que le méthane. Le CO2, effet de la méthanisation est donc rejeté dans l’air ». Certes, aucune énergie n’est propre mais le bilan carbone de la méthanisation n’est guère extraordinaire, puisqu’il peut être estimé entre 23 et 44 gCO2 eq/kWh contre 9 à 15 gCO2 eq/kWh  pour l’éolien, mais il est en-deçà du photovoltaïque qui est évalué généralement autour de 60 gCO2 eq/kWh. (Rapport du Sénat, 2021).

Des risques de pollutions diverses

Pour la Confédération Paysanne (source), la méthanisation génère différents risques accidentels ainsi que sanitaires et environnementaux, notamment au cours des phases d’exploitation et/ou de maintenance.

« Les principaux phénomènes dangereux sont les suivants : incendies; explosions liées à l’inflammabilité du méthane ; dégagements imprévus de toxiques gazeux (hydrogène sulfuré, ammoniac, dioxyde de carbone); pollutions des eaux et des sols liées à l’épandage des digestats ».

Concernant les risques d’incendie et d’explosion, Il apparaît que plus l’unité de méthanisation est importante (volume de matières traitées), « plus les risques et les accidents sont difficiles à prendre en charge et à maîtriser ». (Source CP).

En juin 2019, un méthaniseur qui n’est pas encore en fonctionnement explose à Plouvorn, dans le Finistère. Une boule de feu est aperçue au-dessus du site. Une quarantaine de pompiers sont mobilisés et on déplore un blessé léger, deux personnes choquées. Un accident parmi de nombreux autres : pas moins de 22 incendies et 6 explosions sont répertoriés entre 2010 et 2020, dans la synthèse réalisée par le ministère de la Transition Ecologique (septembre 2021).

À Saint-Gilles-du-Mené (22), le 16 juillet 2019, l’usine de méthanisation a été ravagée par un incendie. (Le Télégramme)

Les rejets polluants sont les accidents les plus nombreux (96 accidents répertoriés entre 2010 et 2020, ibid). 31 événements sont observés avec des scénarios de rupture ou dislocation de cuves ou des poches de digestat, des fuites sur les méthaniseurs, des débordements, des fuites sur des camions en stationnement, des fuites sur canalisations…

Des fuites de gaz toxiques

Si nous continuons dans cet inventaire bien peu sympathique, nous devons noter les risques de fuites de gaz toxiques. Comme le note le CSNM (Collectif Scientifique National Méthanisation) : « Un réacteur de méthanisation ne produit pas que du méthane, mais aussi d’autres gaz toxiques voire mortels : NH3 (ammoniac), H2S (sulfure d’hydrogène ou hydrogène sulfuré). Ces gaz peuvent être disséminés dans l’air, l’eau et les sols pour différentes raisons (émanations, fuites, incendies, explosions, brûlage, épandages, stockages, accidents de la route …). Par dissémination dans l’air ces gaz entraînent la formation de particules fines et de gaz secondaires eux aussi irritants et toxiques, pour l’homme et les animaux. Les risques sanitaires dus à ces gaz sont multiples : irritations (yeux, muqueuses, poumons), pertes de connaissances, comas, cancers, mort. (Source). Il ne s’agit donc pas de risques mineurs. Si l’on prend l’exemple du soufre, la décomposition de matières organiques se déroulant en anaérobie (absence d’oxygène), celui-ci va se transformer en gaz H2S ou sulfure d’hydrogène (ce qui n’est pas le cas en conditions naturelles). La toxicité du sulfure d’hydrogène est établie depuis des siècles (morts brutales dans les fosses d’aisance) et  connue aussi sous le nom de « coup de plomb de l’égoutier », car la mort est instantanée au delà d’une certaine concentration.

En août 2020, une défaillance électronique sur l’une des cuves de la centrale de biométhane de Châteaulin a provoqué une pollution à l’ammoniac de l’Aulne et a privé 50 communes d’eau potable.

Un digestat qui peut se révéler très peu digeste… En fonction des pratiques

C’est un autre aspect extrêmement problématique (et, il faut le reconnaître, encore controversé) : celui de la « qualité » du digestat et de son impact réel sur la santé des sols.

Selon Gérard Fonty et Daniel Chateigner, les digestats épandus ne peuvent être considérés comme de « bons fertilisants » : « le lisier, les matières organiques, sont le résultat de ce qui a été digéré… or, à eux seuls, ces éléments ne peuvent fournir suffisamment de méthane, d’où la nécessité d’ajouter des matières végétales ou des déchets de l’agroalimentaire ». Les deux scientifiques font valoir « qu’il s’agit d’éléments dégradés et que l’azote des digestats prive les micro-organismes du sol de leurs fonctions, affaiblit la diversité microbienne ». Leur utilisation ne peut donc conduire qu’à une nouvelle diminution de la fertilité des sols et il faudra alors procéder à des apports. Ainsi, la méthanisation apparaît comme un concurrent de l’écosystème des sols et n’est pas compatible avec leur biodiversité…

Pour la Confédération Paysanne, l’absence de contrôle sur les intrants et leur qualité pose effectivement des questions importantes.

Des résidus d’antibiotiques et des bactéries peuvent se retrouver dans les sols, et à terme dans l’eau, participant ainsi au cycle de l’antibiorésistance alors même que cette problématique est identifiée par l’Organisation Mondiale de la Santé comme majeure face au nombre de décès qu’elle provoque (source).

Sur la question des sols, la Confédération Paysanne va plus loin. En effet, les lisiers, fumiers, composts, épandus sur les sols permettent un apport de carbone au sol, qui va se minéraliser de manière plus ou moins longue selon le substrat et qui va permettre d’entretenir les matières organiques de ces sols, si celui-ci n’est pas fragilisé par ailleurs. C’est donc une phase de séquestration de carbone. Le processus de méthanisation peut au contraire accélérer considérablement ce cycle du carbone en produisant dans un temps court, en amont de l’épandage au sol, du dioxyde de carbone (CO2) et du méthane (CH4). Il diminue donc potentiellement la quantité de carbone qui participe à la phase de séquestration dans le sol. Or tout retrait de carbone du cycle de production agricole constitue un appauvrissement et une fragilisation des sols ainsi qu’une augmentation des quantités de carbone renvoyées dans l’air. (ibid).

Il existe pourtant des solutions pour obtenir des digestats de bonne voire très bonne qualité et la méthanisation peut être pertinente, dans certains cas et en respectant certaines conditions. D’abord, les apports de matières végétales dans les méthaniseurs doivent être drastiquement limités. Ensuite (et surtout), un projet de méthanisation doit être adapté et dimensionné à la ferme (lorsqu’il s’agit de projet agricole), et à la quantité de « déchets vrais » (ceux pour lesquels on ne connaît pas de meilleure source de valorisation) produits sur la ferme ou dans un rayon très proche. Sur la question des pathogènes, l’Irstea montre, dans un travail de synthèse bibliographique, qu’une méthanisation à 40 °C maximum réduit moins le nombre de pathogènes qu’une méthanisation à 50 °C ou un compostage qui peut grimper à 70 °C. Et les systèmes les plus utilisés s’arrêtent aux 40 °C (une question de coûts !). À titre de comparaison, la teneur en pathogènes d’un digestat, via une méthanisation à 40 °C, est comparable à celle contenue dans un lisier épandu sur les champs. Enfin, des contrôles sur les approvisionnements des méthaniseurs doivent être fréquents et drastiques sur le terrain. A noter qu’il existe également des techniques d’« hygiénisation » — une période d’une heure de chauffe à plus de 70 °C — qui permettraient un meilleur « nettoyage » du digestat, mais elles ne sont pas obligatoires (source Reporterre).

La question des fuites de méthane

Cela étant dit, l’ensemble de cette filière ne serait-elle pas tout simplement à rejeter en raison du problème des fuites de méthane ? C’est une vraie question. Le méthane est un gaz dont l’effet de serre est 25 fois supérieur à celui du gaz carbonique. 1 kg de méthane émis dans l’atmosphère réchauffe autant le climat que 28 à 30 kg de CO2 (au cours du siècle qui suit son rejet). Ainsi, seulement 4% de fuite de méthane suffisent pour que la méthanisation ait un impact sur l’effet de serre plus fort que l’utilisation des carburants fossiles.

Des fuites de NH3 (ammoniac), qui, dans l’air, donneront du N2O (protoxyde d’azote), peuvent aussi contribuer de manière conséquente à l’effet de serre. Or, selon l’INERIS (L’Institut national de l’environnement industriel et des risques), les installations de méthanisation présentent de fuites de biogaz, pouvant aller de moins de 1 % à 25 % du biogaz produit, selon les caractéristiques du site et les conditions de fonctionnement. Mais attention, ces chiffres intègrent des installations d’âge et de conception ancienne (Guide Vers une méthanisation propre, sûre et durable, 2018).

Les bonnes pratiques et les éléments de conduite d’une installation de méthanisation sont maintenant identifiés précisément.

Les solutions résident notamment dans une surveillance permanente pour détecter les fuites, dans le choix de matériaux résistants à la corrosion pour les équipements et pour les canalisations.

Il s’agit aussi d’adapter le régime de charge du digesteur pour éviter une surpression induisant des fuites par les soupapes de sécurité et assurer un stockage de biogaz suffisant pour éviter de rejeter le surplus de production directement à l’atmosphère (dysfonctionnements, maintenance valorisation), de réduire le temps de stockage des matières premières ; ou encore d’adapter le temps de séjour en fonction des substrats dans le digesteur et le post-digesteur pour assurer une dégradation optimale et la collecte du biogaz produit. Les solutions sont là, mais leur mise en œuvre rencontre une difficulté (toujours la même) : la question de la rentabilité de l’installation.

Néanmoins, qu’il s’agisse de maîtriser les risques d’accidents, de la qualité du digestat ou de la maîtrise des fuites de méthane,  et si nous ne voulons pas que la méthanisation soit un nouveau problème et non une partie de la solution (en l’utilisant avec modération), il faudra bien payer le prix, … Par conséquent, pour chaque installation, il faut de sévères contrôles avec, de plus, un clair droit de regard et d’enquête des citoyens. Il est indispensable de ne retenir que les projets à « taille humaine », adaptés aux territoires (en lieu et place d’opérations bassement industrialo-financières).                                                                                                        

Régis Dauxois

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